Le monde
Vidéo envoyée par catastrophyb
Note dans un carnet : Pendant plus d’un an, nombreux courriers aux meilleurs scientifiques du moment, lesquels n’ont même pas pris pas la peine de me répondre, rien, pas un mot. Sauf ce curieux type de Moldavie qui m’a semblé assez intéressé par le largo path d’Edwin Moore. Ma réponse : Je suis certain que la fonction d’optimum à réglage d’isglorométrie est fausse si l’on permute les facteurs n-1i d’un nombre de cycles cinq n-1i-0,06 fois évanescentes d’ordre 8.
Il est quasiment certain que les lettres qu’envoya Monsieur Jour à ces zigs (les scientifiques que l’on pourrait exagérément qualifier de meilleurs spécialistes du moment dans leur domaine respectif) furent une stratégie que lui seul pouvait comprendre. Pourquoi ces lettres ?, sachant à l’avance que cela n’était qu’insignifiance égale à l’observation de l’écoute de la sonate en la mineur, Presto ¢ de Dominico Scarlatti par des babouins dont le mâle dominant se ferait épouiller, avant la mise en place de ce protocole et après la fin de ce mystique épisode musical.
Pour éprouver sa solitude ? Par dépit ? par orgueil ? sûrement pas, Monsieur Jour rédigea un poème qu’il envoya à Saint John Perse : aucune réponse. Fustre de morkre !, jurait Monsieur Jour.
Après des années de recherche, considérant avoir donné tout ce qu’il pouvait donner à ses contemporains, par dépit optimiste, il devint globe-trotter.
Au cours de mon existence sédentaire, j’ai rencontré dix fois Monsieur Jour et cela pendant une trentaine d’années, c’est-à-dire environ une fois tous les trois ans en moyenne. Ces rencontres furent irrégulières, mais en sensations fortes.
À mesure de nos rencontres, j’ai appris à connaître (ai-je appris ?) Monsieur Jour. Dès qu’il passait dans mon trou les oies, un coup de bigophone et il me rendait directement visite :
— Oh ! Monsieur Jour !, que je suis content de vous revoir, mais, ma parole !, vous rajeunissez ! Entrez, je vous en prie.
Nous passions une semaine ensemble, à papoter, à flâner, à clopiner devant un expresso, à rire de ses extravagances. Il me racontait toutes ses aventures de globe-trotter qui, à force de s’interférer ou se décalquer les unes aux autres, finissaient par se ressembler. Et puis, il avait des histoires d’amour giratoires qui, disait-il : « sont comme mes pointillés sur le globe. »
Une histoire d’amour avec une Danoise vivant à Copenhague, nommée Hanne Nielsen, avec laquelle il avait une petite fille : Tasja ; la petite fille était folle d’une chatte noire, blanche et orange qui s’appelait Toulouse : nom tiré de Walt Disney dans Aristocats.
Une histoire d’amour avec une Japonaise, une complexe Kazama Miyazaki. D’un tempérament cyclothymique, parfois frigide comme le cul d’un iceberg tantôt bouillonnante comme le magnat d’un volcan, paraît-il, cette Kazama était une surdouée pour l’humour pour preuve : elle détestait le thé et le théâtre No.
Une histoire d’amour avec une actrice Congolaise : Laurentine Kabongo elle avait débuté avec Jean Rouche dans le film : Cocorico Monsieur Poulet. « Un canon à fort recul », selon l’expression de Monsieur Jour. Directrice d’une compagnie de taxis cette actrice faisait fortune et nourrissait une centaine de personnes dans les bassines. Il m’en parlait des heures entière de sa Laurentine Kabongo.
Une histoire d’amour avec une petite brune Belge, demeurant à Liège et dont je ne me souviens plus le nom. Par contre, je me souviens qu’elle dirigeait une fabrique de fermetures scratch en Nylon, normales, autoadhésives et thermo soudables. C’était, aux dires de Monsieur Jour, une femme sensuelle au possible. Cependant, cette petite brune belge, parce qu’elle ne pouvait plus avoir d’enfants, commençait à sombrer dans l’alcoolisme et Monsieur Jour se montrait inquiet.
Une histoire d’amour avec une peintre d’Afrique du sud, une afrikaner qui faisait la navette entre Marseille et Johannesburg :
— Certes, disait-il, je déteste sa peinturlure macrobiotique, mais la compagnie de Caroline est vivifiante. Elle a les plus beaux seins que j’ai rencontrés sur cette planète.
Une histoire d’amour avec une certaine Marlene Ber…,– je ne me souviens plus de son nom – qui vivait en Australie sur Kangaroo Island, fan d’informatique. Le souci de Marlene Ber…, Berawhite, je crois, était sa surcharge pondérale et donc une fragilité des pieds qui limitait ses déplacements.
La liste était longue pour ce pointillé d’amour dont Monsieur Jour, arpenteur de notre planète, savait utiliser les relais pour son repos de guerrier pourfendeur des espaces. Sans toit, ni vraiment sans loi, en dehors du venir sans devenir, expert en parcours amoureux, ainsi s’étaient métamorphosées la science et la poétique de Monsieur Jour.
Pendant toutes ces intermittences où nous nous sommes rencontrés, devant de multiples verres de Saint Emilion (breuvage qu’il affectionnait particulièrement), cet homme hors du commun et d’une verve inégalable, m’a tout raconté. Malheureusement, malgré cet amour amical que nous nous portions, j’ai oublié la plupart de ses récits. Oui, ne l’ai-je pas déjà formulé ?, l’amour et l’oubli vont bien ensemble jusqu’à s’oublier l’un dans l’autre. Avec Monsieur Jour, notre oubli fut l’un devers l’autre.
Un jour il a occulté nos rencontres comme s’il fut mort.
Mort.
Des années passèrent et j’avais fini par le gommer de ma mémoire sauf dans de rares moments pathétiques de nostalgie, lorsque j’ai dépassé la cinquantaine. Jusqu’au moment fatal et révélateur où Monsieur Jour, presque lui, fit à nouveau escale dans ma vie.
Sans humour, ce fut un soir que Monsieur jour resurgit : en rentrant du travail, éreinté, je trouvais un avis de colis recommandé.
Sans attendre le lendemain, plus curieux qu’inquiet, sans la moindre idée de ce dont il pouvait s’agir, je fis la queue presque trois quart d’heure au guichet du bureau de poste pour recevoir, en mains propres, ce gros et lourd colis qui me parvenait de Hongrie.
À l’aide d’un cutter rouillé, avec précipitation, j’ouvris le fameux colis sur ma table de cuisine.
Le pot aux roses rouilles (mes préférées).
Il y avait une lettre d’une certaine « Madame Maria. W. » qui m’adressait, en tant que légataire universel, tout ce qu’il possédait. Tout ? L’ensemble des œuvres de Monsieur Jour. Plus d’une centaine de carnets remplis d’une écriture en forme de pattes de mouches et dont le contenu était incompréhensible pour l’ignorant que je suis des choses de la science et de la poésie mêlées.
Comme l’avait fait, avant d’entreprendre son voyage anti-initiatique, Monsieur Jour, je rédigeais de nombreux courriers aux meilleurs scientifiques du moment, lesquels, encore une fois, ne comprenant sans doute rien à son charabia, ne prirent même pas la peine de me répondre. Les maisons d’éditions du landernau me renvoyèrent les poésies avec des lettres types affligeantes. J’ai vraiment essayé de diffuser son œuvre, tant espéré que le jour de Monsieur Jour puisse se lever. En vain.
Voilà.
J’ai en ma possession ce fourbi ou ce trésor de mots et de formules. Qui peut le savoir ? Dans notre ignorance crasse d’aujourd’hui , ces carnets contiennent-il la substantifique moelle de la vérité universelle ou rien de convenable pour l’esprit ? Un jour peut être…
Je me demande si tout l’amour dont a fait preuve Monsieur Jour n’est pas concentré dans ces mots et ces formules momentanément ésotériques. Pendant mes rêves, il m’arrive de croire qu’une magnifique rose rouille éclora de ces lignes confinées qui sont rien moins que des semences séchées confiées par amitié à un inconnu, ignare par surcroît. Ô, amis de l’oubli, amis de l’amour démystifié, dites-moi si les mots secrets qui tancent ce monde sont sacrés et ineffaçables. Aidez-moi ! Je vous en supplie : aidez-moi.