farioli
09 avr

Chef ! Oui Chef !


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bgio.jpgRetour vers le futur d’hier, avec C.Levy-Strauss et le mythique “Tristes Tropiques”
Ce passage sur les chefs Nambikwara.Il faut relire cela pour le rêve, pour le mystère, pour la réalité d’aujourd’hui, puisqu’il nous faut un petit Papa Noël à l’Elysée !
La maman ?  Mais les beaufs dans tout cela ? On a un beauf taillé sur messure, donc  :

Révisons nos classiques pour mieux voir comment on regarde nos caciques.

…Chez les Nambikwara, le pouvoir politique n’est pas héréditaire. Quand un chef devient vieux, tombe malade et se sent incapable d’assumer plus longtemps ses lourdes fonctions, il choisit lui-même son successeur “Celui-ci sera le chef…” Cependant, ce pouvoir autocratique est plus apparent que réel. Nous verrons plus loin combien faible est l’autorité du chef, et dans ce cas comme dans tous les autres, la décision définitive semble être précédée d’un sondage de l’opinion publique : l’héritier désigné est aussi le plus favorisé par la majorité. Mais ce ne sont pas seulement les voeux et les exclusives du groupe qui limitent le choix du nouveau chef ; ce choix doit aussi répondre aux plans de l’intéressé. Il n’est pas rare que l’offre du pouvoir se heurte à un refus véhément “Je ne veux pas être le chef.” Dans ce cas, il faut procéder à un nouveau choix. En effet, le pouvoir ne semble pas faire l’objet d’une ardente compétition, et les chefs que j’ai connus se plaignaient plus volontiers de leurs lourdes charges et de leurs multiples responsabilités qu’ils n’en tiraient un sujet d’orgueil. Quels sont donc les privilèges du chef et quelles sont ses obligations?

Quand, aux environs de 1560, Montaigne rencontra à Rouen trois Indiens brésiliens ramenés par un navigateur, il demanda à l’un d’eux quels étaient les privilèges du chef (il avait dit “le roi”) dans son pays ; et l’indigène, chef lui-même, répondit que c’était marcher le premier à la guerre. Montaigne relata l’histoire dans un célèbre chapitre des Essais en s’émerveillant de cette fière définition. Mais ce fut pour moi un plus grand motif d’étonnement et d’admiration que de recevoir, quatre siècles plus tard, exactement la même réponse. Les pays civilisés ne témoignent pas d’une égale constance dans leur philosophie politique ! Si frappante qu’elle soit, la formule est moins significative encore que le nom qui sert à désigner le chef dans la langue nambikwara. Uilikandé semble vouloir dire «celui qui unit» ou «celui qui lie ensemble». Cette étymologie suggère que l’esprit indigène est conscient de ce phénomène que j’ai déjà souligné, c’est-à-dire que le chef apparaît comme la cause du désir du groupe de se constituer comme groupe, et non comme l’effet du besoin d’une autorité centrale, ressenti par un groupe déjà constitué.

Le prestige personnel et l’aptitude à inspirer confiance sont le fondement du pouvoir dans la société nambikwara. Tous deux sont indispensables à celui qui deviendra le guide de cette aventureuse expérience la vie nomade de la saison sèche. Pendant 6 ou 7 mois, le chef sera entièrement responsable de la direction de sa bande. C’est lui qui organise le départ pour la vie errante, choisit les itinéraires, fixe les étapes et la durée des stations. Il décide les expéditions de chasse, de pêche, de collecte et de ramassage, et il arrête la politique de la bande vis-à-vis des groupes voisins. Lorsque le chef de bande est en même temps un chef de village (en donnant au mot village le sens restreint d’installation semi-permanente pour la saison des pluies), ses obligations vont plus loin. C’est lui qui détermine le moment et le lieu de la vie sédentaire ; il dirige le jardinage et choisit les cultures ; plus généralement, il oriente les occupations en fonction des besoins et des possibilités saisonnières.
Il faut noter immédiatement que le chef ne trouve d’appui, pour ces fonctions multiples, ni dans un pouvoir précisé, ni dans une autorité publiquement reconnue. Le consentement est à l’origine du pouvoir, et c’est aussi le consentement qui entretient sa légitimité. Une conduite répréhensible (du point de vue indigène, s’entend) ou des manifestations de mauvaise volonté de la part d’un ou deux mécontents, peuvent compromettre le programme du chef et le bien-être de sa petite communauté. Dans une pareille éventualité cependant, le chef ne dispose d’aucun pouvoir de coercition. Il ne peut se débarrasser des éléments indésirables que dans la mesure où il est capable de faire partager son opinion par tous. Il lui faut donc faire preuve d’une habileté qui relève du politicien cherchant à conserver une majorité indécise, plutôt que d’un souverain tout-puissant. Il ne suffit même pas qu’il maintienne la cohérence de son groupe. Bien que la bande vive pratiquement isolée pendant la période nomade, elle n’oublie pas l’existence des groupes voisins. Le chef ne doit pas seulement bien faire ; il doit essayer - et son groupe compte sur lui pour cela - de faire mieux que les autres.

Comment le chef remplit-il ces obligations ? Le premier et le principal instrument du pouvoir consiste dans sa générosité. La générosité est un attribut essentiel du pouvoir chez la plupart des peuples primitifs et très particulièrement en Amérique ; elle joue un rôle, même dans ces cultures élémentaires où tous les biens se réduisent à des objets grossiers. Bien que le chef ne semble pas jouir d’une situation privilégiée au point de vue matériel, il doit avoir sous la main des excédents de nourriture, d’outils, d’armes et d’ornements qui pour être infinies, n’acquièrent pas moins une valeur considérable du fait de la pauvreté générale. Lorsqu’un individu, une famille, ou la bande tout entière, ressent un désir on un besoin, c’est au chef qu’on fait appel pour le satisfaire. Ainsi la générosité est la qualité essentielle qu’on attend d’un nouveau chef. C’est la corde, constamment frappée, dont le son harmonieux ou discordant donne au consentement son degré. On ne saurait douter qu’à cet égard, les capacités du chef ne soient exploitées jusqu’au bout. Les chefs de bande étaient mes meilleurs informateurs et, conscient de leur position difficile, j’aimais les récompenser libéralement, mais j’ai rarement vu un de mes présents rester dans leurs mains pour une période supérieure à quelques jours. Chaque fois que je prenais congé d’une bande après quelques semaines de vie commune, les indigènes avaient eu le temps de devenir les heureux propriétaires de haches, de couteaux, de perles, etc. Mais en règle générale, le chef se trouvait dans le même état de pauvreté qu’au moment de mon arrivée. Tout ce qu’il avait reçu (qui était considérablement au-dessus de la moyenne attribuée à chacun) lui avait déjà été extorqué. Cette avidité collective accule souvent le chef à une sorte de désespoir. Le refus de donner tient alors à peu près la même place, dans cette démocratie primitive, que la question de confiance dans un parlement moderne. Quand un chef en vient à dire « C’est fini de donner ! C’est fini d’être généreux ! Qu’un autre soit généreux à ma place ! » il doit vraiment être sûr de son pouvoir, car son règne est en train de passer par sa crise la plus grave.

L’ingéniosité est la forme intellectuelle de la générosité. Un bon chef fait preuve d’initiative et d’adresse. C’est lui qui prépare le poison de flèches. C’est lui aussi qui fabrique la balle de caoutchouc sauvage employée dans les jeux auxquels on se livre à l’occasion. Le chef doit être un bon chanteur et un bon danseur, un joyeux luron toujours prêt à distraire la bande et à rompre la monotonie de la vie quotidienne. Ces fonctions conduiraient facilement au chamanisme, et certains chefs sont également des guérisseurs et des sorciers. Cependant, les préoccupations mystiques restent toujours à l’arrièreplan chez les Nambikwara et lorsqu’elles se manifestent, les aptitudes magiques sont réduites au rôle d’attributs secondaires du commandement. Plus fréquemment, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont partagés entre deux individus. A cet égard, les Namhikwara diffèrent de leurs voisins du nord-ouest, les Tupi-Kawahib, chez lesquels le chef est aussi un chaman adonné aux rêves prémonitoires, aux visions, aux transes et aux dédoublements.
Mais bien qu’orientées dans une direction plus positive, l’adresse et l’ingéniosité du chef nambikwara n’en sont pas moins étonnantes. Il doit avoir une connaissance consommée des territoires fréquentés par son groupe et par les groupes voisins, être un habitué des terrains de chasse et des bosquets d’arbres à fruits sauvages, savoir pour chacun d’eux la période la plus favorable, se faire une idée approximative des itinéraires des bandes voisines amicales ou hostiles. Il est constamment parti en reconnaissance ou en exploration et semble voltiger autour de sa bande plutôt que la conduire.
A part un ou deux hommes sans autorité réelle, niais qui sont prêts à collaborer contre récompense, la passivité de la bande fait un singulier contraste avec le dynamisme de son conducteur. On dirait que la bande, ayant cédé certains avantages au chef, attend de lui qu’il veille entièrement sur ses intérêts et sur sa sécurité.
Cette attitude est bien illustrée par l’épisode déjà relaté du voyage au cours duquel, nous étant égarés avec des provisions insuffisantes, les indigènes se couchèrent au lieu de partir en chasse, laissant au chef et à ses femmes le soin de remédier à la situation.
J’ai fait plusieurs fois allusion aux femmes du chef. La polygamie, qui est pratiquement son privilège, constitue la compensation morale et sentimentale de ses lourdes obligations en même temps qu’elle lui donne tin moyen de les remplir. Sauf de rares exceptions, le chef et le sorcier seuls (et encore, quand ces fonctions se partagent entre deux individus) peuvent avoir plusieurs femmes. Mais il s’agit là d’un type de polygamie assez spécial. Au lieu d’un mariage plural au sens propre du terme, on a plutôt un mariage monogame auquel s’ajoutent des relations de nature différente. La première femme joue le rôle habituel de la seule épouse dans les mariages ordinaires. Elle se conforme aux usages de la division du travail entre les sexes, prend soin des enfants, fait la cuisine et ramasse les produits sauvages. Les unions postérieures sont reconnues commes des mariages, elles relèvent cependant d’un autre ordre. Les femmes secondaires appartiennent à tine génération plus jeune. La première femme les appelle « filles » ou « nièces ». De plus, elles n’obéissent pas aux règles de la division sexuelle du travail, niais prennent indifféremment part aux occupations masculines ou féminines. Au camp, elles dédaignent les travaux domestiques et restent oisives, tantôt jouant avec les enfants qui sont en fait de leur génération, tantôt caressant leur mari pendant que la première femme s’affaire autour du foyer et de la cuisine. Mais quand le chef part en expédition de chasse ou d’exploration, ou pour quelque autre entreprise masculine, ses femmes secondaires l’accompagnent et lui prêtent une assistance physique et morale. Ces filles d’allure garçonnière, choisies parmi les plus jolies et les plus saines du groupe, sont pour le chef des maîtresses plutôt que des épouses. Il vit avec elles sur la base d’une camaraderie amoureuse qui offre un frappant contraste avec l’atmosphère conjugale de la première union.
Alors que les hommes et les femmes ne se baignent pas en même temps, on voit parfois le mari et ses jeunes lemmes prendre ensemble un bain, prétexte à de grandes batailles dans l’eau, à des tours, et à d’innombrables plaisanteries. Le soir, il joue avec elles, soit amoureusement - se roulant dans le sable enlacés à deux, trois ou quatre - soit de façon puérile : par exemple le chef wakletoçu et ses deux plus jeunes femmes, étendus sur le dos, de manière â dessiner sur le sol une étoile à trois branches, lèvent leurs pieds en l’air et les heurtent mutuellement, plante des pieds contre plante des pieds, sur un rythme régulier.
L’union polygame se présente ainsi comme une superposition d’une forme pluraliste de camaraderie amoureuse au mariage monogame, et en même temps comme tin attribut du commandement doté d’une valeur fonctionnelle, tant au point de vue psychologique qu’au point de vue économique. Les femmes vivent habituellement en très bonne intelligence et, bien que le sort de la première lemme semble parfois ingrat - travaillant pendant qu’elle entend à ses côtés les éclats de rire de son mari et de ses petites amoureuses et assiste même à de plus tendres ébats - elle ne manifeste pas d’aigreur. Cette distribution des rôles n’est, en effet, ni immuable ni rigoureuse, et, à l’occasion, bien que plus rarement, le mari et sa première femme joueront aussi ; elle n’est en aucune façon exclue de la vie gaie. De plus, sa participation moindre aux relations de camaraderie amoureuse est compensée par une plus grande respectabilité et une certaine autorité sur ses jeunes compagnes…